Notre société est une entreprise familiale établie à Riquewihr depuis 1639 et nous sommes dans la viticulture depuis 12 générations de pères en fils
M. Jean HUGEL, vous êtes l'un des membres français de l'Association les Hénokiens, pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs ?
> Jean HUGEL : Mon nom est Jean Hugel et je suis né le 28 septembre 1924. J’ai une formation d’Ingénieur Agronome (Montpellier) et je suis Œnologue diplômé. Je suis entré dans l’entreprise en 1947 et j’ai occupé la position de Directeur général jusqu'à ma retraite en septembre 1997. Je suis toujours administrateur de Hugel S.A. J’ai été honoré par le Gouvernement français de l’Ordre du Mérite et de la distinction d’Officier du Mérite Agricole.
Pouvez-vous nous présenter votre entreprise et ses activités ?
> JH. : Notre société est une entreprise familiale établie à Riquewihr depuis 1639 et nous sommes dans la viticulture depuis 12 générations de pères en fils. Nos ancêtres étaient des tonnelier- viticulteurs et nombre de leurs foudres, dont certaines ont 150 ans d’âge, sont toujours utilisées dans nos caves. La plus ancienne d’entre-elles, nommée « Sainte Caterine », date de 1715. Le Guinness Book des Records indique que c’est la plus ancienne du monde en service.
En 1896, nous sommes devenus négociants, complétant la production de nos propres vignes par du raisin élevé sous contrat par des producteurs locaux.
La société sous sa forme actuelle, Hugel & Fils S.A., date de 1935 et, encore aujourd’hui, elle appartient en totalité à notre famille.
Nous avons à l’heure actuelle une capacité de stockage de 15 000 hectolitres et de 2 800 000 bouteilles. Nous vendons en moyenne 1 200 000 bouteilles par an et nos exportations représentent 90% de nos ventes.
Quels sont pour votre entreprise les faits marquants de ces dernières années ?
> JH. : Les 20 dernières années ont connu un bouleversement très rapide (et très important) dans la distribution du vin. Les grands groupes de vins et spiritueux ont mis la main sur les bons importateurs et distributeurs, surtout pour commercialiser leurs propres produits. Les entreprises familiales sont donc condamnées à occuper les créneaux de niches qui satisfont les amateurs de produits authentiques et qui respectent le rapport qualité/prix.
Autre changement qui me semble plus dramatique; la production de vins a augmenté dans le monde; la rentabilité favorise la mise sur le marché et la consommation de vins de plus en plus jeunes et techniques. Le nouveau monde (Australie - Nouvelle Zélande - Chili - Afrique du Sud) aura toujours six mois d'avance sur les régions traditionnelles. Ils ont aussi la puissance financière pour défendre leurs idées.
Par ailleurs, le passage chez Hugel de la 11ième à la 12ième génération eut lieu en 1985 et dans cette nouvelle génération d'actionnaires, tous ne travaillent pas dans l'entreprise.
Pouvez vous nous dire quelques mots sur vos projets majeurs à plus ou moins long terme ?
> JH. : Continuer en restant conservateurs là où la qualité est influencée et là où le prix de revient est vital. Le vin étant toujours produit avec du raisin, prier pour avoir une bonne météorologie et rechercher les clients fidèles qui aiment notre produit.
Quelles sont les raisons qui peuvent expliquer la longévité de votre entreprise ?
> JH. : Avoir à chaque génération des hommes compétents sérieux et travailleurs.
L'extraordinaire longévité de votre entreprise constitue-t-elle un argument dans la relation avec vos clients ?
> JH. : Bien sûr, mais pour maintenir vivace cette relation, il est nécessaire de communiquer positivement et régulièrement avec nos clients.
Les valeurs traditionnelles qui font la force de votre entreprise constituent-elles également un atout en matière de recherche et d'innovation ?
> JH. : Dans notre métier dépendant du climat de l'année, il faut toujours se servir des connaissances du passé pour essayer de prévoir les changements du futur. Parce que notre action sur la qualité des raisins est difficile et parce que nous devons maintenir la typicité de nos produits, dont la qualité est reconnue par nos clients, toute révolution nous est interdite.
Quels sont, selon vous, les pièges les plus importants auxquels votre entreprise doit faire face pour conserver son indépendance ?
> JH. : Se développer régulièrement mais pas excessivement dans un marché en expansion. Faire aimer le produit que la nature nous donne. Il faut rester une entreprise de taille humaine et financièrement transmissible. Dans un métier exigeant de gros investissements, surtout à long terme, il ne faudra jamais dépendre des banques, bien gérer et contrôler ses finances.
La volonté de votre famille de garder l'entreprise indépendante a-t-elle nécessité au fil des siècles des choix difficiles. Si oui, pouvez-vous nous en citer quelques uns ?
> JH. : Etant une entreprise de petite taille, dont une grande partie du capital était représentée par un vignoble, il n'y a pas eu trop de problèmes. Le problème du contrôle est réglé pour la 12ième génération (celle qui gère actuellement), ils devront préparer le passage à la 13ième et la gérer.
La transmission de votre entreprise à un membre de votre famille est-elle régie par des règles clairement établies ?
> JH. : Jusqu'à présent on choisissait à chaque génération les meilleurs et les plus motivés pour assurer la continuité. L'affaire et les différentes sociétés qui la composent ne pourront plus être totalement contrôlées par ceux qui la dirigent, des pactes et des ententes entre actionnaires seront nécessaires et vitaux pour la survie.
La nouvelle génération est-elle déjà dans l'entreprise ?
> JH. : Oui – trois Hugel de la 12ième génération la dirigent.
Auriez-vous un message à communiquer à toutes celles et ceux qui voudraient se lancer dans la création de leur entreprise familiale ?
> JH. : C'est un challenge formidable, mais est-il encore possible et imaginable au 21ième siècle avec la seule motivation à court terme qui caractérise créateur et dirigeant du monde économique actuel ?
Mon conseil : créez votre entreprise familiale et gardez l'espoir qu'elle se maintiendra.