Cette qualité d’Hénokien me conduit à me présenter comme un héritier responsable de la pérennité d’une aventure industrielle et financière familiale
M. Michel VIELLARD, vous êtes un des membres français de l’Association des Hénokiens, pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs ?
> Michel VIELLARD : Cette qualité d’Hénokien me conduit à me présenter comme un héritier responsable de la pérennité d’une aventure industrielle et financière familiale, plusieurs fois centenaire, débutée à Lepuy Gy du temps de Mazarin et qui se perpétue depuis 1796 à quelques kilomètres de là, dans le même Département du Territoire de Belfort, dans les villages de Morvillars et de Grandvillars.
Je suis Centralien de formation et depuis ma sortie d’école, après mon service militaire en Algérie, je suis rentré dans la société en 1960.
J’en ai assuré la présidence depuis 1981 à 1998. Mon cousin Christophe qui a conduit le développement de notre activité halieutique, me remplace à ce poste depuis cette date.
Pouvez vous nous présenter votre entreprise et ses activités ?
> M.V. : Viellard Migeon et Cie., comme toute autre entreprise, possède un héritage et des traditions qui continuent à vivre dans le présent. Cette société industrielle et familiale qui a débuté dans la forge et l’étirage du fil machine a diversifié ses activités au cours des siècles et à su, durant ces trente dernières années, se transformer progressivement en un holding financier qui s’est réinvesti à des degrés divers dans les activités d’origine.
A côté de la gestion des propriétés immobilières et foncières locales, l’activité de « Visserie-Boulonnerie » débutée en 1827 dans la tréfilerie de Grandvillars, est aujourd’hui représentée par un total de participations directes et indirectes de 23 % dans le groupe LISI, spécialisé dans la fabrication de fixations pour l’automobile et l’aéronautique, coté à Paris et qui emploie plus de 11000 personnes dans le monde.
L’activité de production d’hameçons née en 1910 est représentée maintenant par une participation de 30 % dans le groupe Rapala-VMC, coté à Helsinki et qui emploie plus de 3000 personnes dans le monde.
L’activité de production d’électrodes née en 1950 a donné naissance à FSH WELDING GROUP, filiale à 95 % de VMC, employant près de 200 personnes et spécialisée dans la fabrication de consommables de soudure. Le capital de la société est divisé en 206 300 actions qui appartiennent encore, directement et indirectement à 150 actionnaires descendants de nos ancêtres Laure Migeon et Juvénal Viellard.
Quels sont pour votre entreprise les faits marquants de ces dernières années ?
> M.V. : Les faits marquants se positionnent dans la tradition, ou encore dans un retour, par une voie financière actuelle et moderne, aux «métiers d’origine».
Ce ne sont pas, pour moi, les systèmes sophistiqués qui permettent de prendre les décisions les plus efficaces : c’est le sens du passé et, à travers ce passé, une certaine vision du futur.
Une société familiale doit savoir faire face au changement et son passé l’aide à distinguer entre les aspects permanents et ceux qui ne sont que conjoncturels. L’histoire de notre famille et de notre entreprise est mon outil de diagnostic !
Les faits marquants de ma vie industrielle c’est, en conséquence de ce qui précède, d’avoir élagué systématiquement les activités et les produits non rentables venus s’accumuler au cours des siècles, pour recentrer financièrement nos intérêts sur nos métiers d’origine, l’assemblage vissé et soudé et la pêche sportive.
Pouvez vous nous dire quelques mots sur vos projets majeurs à plus ou moins long terme ?
> M.V. : Je n’ai aucunement l’intention de changer de stratégie. Mon conseil, d’ailleurs partage mon avis : nous devons continuer à conforter nos positions dans nos métiers d’origine et développer encore notre activité «soudure» afin de lui donner une taille plus significative dans ce métier de géants.
Quelles sont les raisons qui peuvent expliquer la longévité de votre entreprise ?
> M.V. : Viellard Migeon puise encore aujourd’hui sa force dans la fidélité de son actionnariat familial, dans celle de son personnel, dans ses profits, dans la confiance de ses banquiers, dans la croissance et dans son histoire !
Toutes les traditions sont gravées dans le passé mais continuent à vivre dans le présent.
L’histoire est une discipline comme l’économie !
L’extraordinaire longévité de votre entreprise constitue t’elle un argument dans la relation avec vos clients ?
> M.V. : Oui, c’est un argument. La longévité est très féminine et très attirante quand elle sait rester jeune !
Les valeurs traditionnelles qui font la force de votre entreprise constituent-elles également un atout en matière de recherche et d’innovation ?
> M.V. : C’est une vaste question qui intéresse toutes les entreprises. Quelques soient les valeurs traditionnelles, la vitesse avec laquelle une entreprise industrielle progresse est intimement liée à ses capacités de recherche et d’innovation.
L’évolution peut aussi être prolongée lorsque les profits sont faciles, lorsque l’entreprise bénéficie d’une rente … au 19e.siècle nous avons connu des périodes qui répondent à ces critères.
C’est lorsque les marchés et les profits se contractent que la crise apparaît et que la croissance par la recherche, l’innovation et la créativité s’impose à nouveau.
C’est peut-être alors dans la valeur traditionnelle de son personnel, surtout dans sa compétence et dans sa fidélité que notre entreprise a généralement trouvé cette force innovante.
J’en connais quelques exemples et celui qui me vient spontanément à l’esprit est celui de Monsieur Roger Billet, rentré chez nous à l’âge de 16 ans et qui 40 ans plus tard, a révolutionné la fabrication des hameçons et créé des machines automatiques qui ont permis un brillant redémarrage de cette activité.
Quels sont, selon vous, les pièges les plus importants auxquels votre entreprise doit faire face pour conserver son indépendance ?
> M.V. : Conserver son indépendance, c’est rester capable de contrôler financièrement sa société. Les attaques ou les dangers que vous appelez les pièges, peuvent venir de l’extérieur, comme de l’intérieur.
Nous avons connu des dirigeants familiaux passionnés de technique, dédaignant le management, dont l’énergie physique et mentale était totalement absorbée par les machines et par la fabrication.
De tels hommes gèrent difficilement la croissance qu’ils génèrent au départ. Lorsque les capitaux sont insuffisants, que le contrôle est rendu difficile par l’absence de système comptable adapté, les dirigeants sont submergés de responsabilités qu’ils n’ont jamais désirées.
Si les banquiers se démettent, seule la famille ou l’actionnariat familial peut alors assurer les moyens de la reprise. La réponse à votre question apparaît alors plus clairement : pour garder son indépendance une entreprise doit avant tout éviter le piège de perdre la confiance de ses actionnaires et donc, dans notre cas, garder une excellente relation avec la famille !
La volonté de votre famille de garder l’entreprise indépendante a-t-elle nécessité au fil des siècles des choix difficiles ? Si oui, pouvez vous nous en citer quelques uns ?
> M.V. : La société a traversé des guerres, des révolutions et des crises nombreuses. J’en citerai trois majeures.
La première, très grave, a suivi les dévaluations successives du franc de 1922 à 1926, au moment ou la société avait décidé de s’engager massivement dans la production d’électricité hydraulique et de construire un barrage et une conduite forcée de 6 kilomètres à travers la montagne, au dessus de la ville de Saint-Hippolyte, dans le Doubs.
La nationalisation qui a suivi a précipité la catastrophe financière et a conduit la société à s’endetter pour la première fois de son existence ! Viellard Migeon a du contracter un emprunt de 25 millions de francs, obligeant les actionnaires en 1935 a renflouer le capital à hauteur 4,5 millions.
La deuxième, en 1950, lorsque, pour sortir des graves difficultés de l’après guerre, les associés familiaux ont accepté de geler plus de 25 millions de francs en compte courant bloqué …. millions qu’ils n’ont jamais retrouvés et qui se sont perdus au fil des dévaluations successives que notre pays a malheureusement connues.
La troisième et plus récente. Elle a eu lieu entre 1987 et 1990 quand les actionnaires se sont divisés sur l’opportunité, heureusement mais douloureusement repoussée, de céder la société à un repreneur extérieur.
La transmission de votre entreprise à un membre de votre famille est-elle régie par des règles clairement établies ?
> M.V. : Nous recherchons dans la famille, pas nécessairement l’oiseau rare, mais des candidats possédant de réelles capacités plutôt que des diplômés sans volonté ou sans cervelle …
Il faut une autorité naturelle, une aptitude à travailler avec les autres dans un climat de courtoisie et une capacité à obtenir des résultats tangibles et positifs.
Enfin et surtout, les qualités personnelles et morales de ces dirigeants, mises au service de la famille et à celui de la société, doivent être conformes aux plus hauts standards de comportement éthique et légal, dans toutes leurs communications internes, externes, familiales et leurs pratiques d’affaires.
La nouvelle génération est-elle déjà dans l’entreprise ?
> M.V. : Oui, elle y est toujours, depuis toujours ! Mon fils Emmanuel a 50 ans et il assure la Direction générale de VMC. Il est aussi Vice Président du groupe Lisi et Président du groupe Rapala-VMC. Mon neveu Cyrille après 12 ans d'activité en Inde, en Allemagne et en Espagne dans un grand groupe mondial a rejoint à 36 ans notre société en septembre dernier.
Auriez vous un message à communiquer à toutes celles et ceux qui voudraient se lancer dans la création de leur entreprise familiale ?
> M.V. : Je ne sais pas si je suis habilité à donner de tels conseils car j’ai passé plus de temps à maintenir et à développer Viellard Migeon qu’à créer de nouvelles affaires.
Cependant je crois devoir mes succès à ma capacité de m’accrocher. Je lâche difficilement !
C’est aussi une qualité que l’on prête volontiers au peuple britannique. “ When there is a will, there is a way !”